il paraît que la fin justifie les moyens, et ça, le jour où on me l’a dit pour la première fois, ça a été très bien entendu. c’est presque devenu une devise, prête à tout pour obtenir ce que je veux. les scrupules ont laissé place aux envies grandissantes. plus, plus, toujours plus.
avec ce genre d’attitude, j’suis persuadée que je pourrais obtenir tout ce que je souhaite.
mais ce genre d’attitude me fait aussi passer par toutes sortes de situations.
alors c’est comme ça que je me retrouve ce soir dans un restaurant où je ne pourrais jamais m’offrir même un verre d’eau, dans une tenue qui est loin de me correspondre, à lâcher des sourires et des faux rires à répétition.
oh, wilfred, t’es si drôle. c’est si intéressant, ce que tu dis.
j’ai vomi dans ma bouche au moins trois fois, au cours du dîner.
quand il m’a donné rendez-vous, il m’a fait un virement, accompagné d’un joli mot : « fais-toi plaisir, trouve-toi une tenue pour le dîner. sois toi-même, surtout. »
comme s’il avait réellement envie que je sois moi-même. c’est pas en étant moi-même, que j’arriverais à obtenir ce que je veux, malheureusement. pas les livres par centaines, du moins.
je connais trop les hommes, d’autant plus ceux dans ce genre. pourtant pas du milieu, je sais très bien ce qu’ils attendent de moi.
ils attendent que je porte une jolie robe noire, plutôt courte mais qui n’en dévoile pas trop. juste assez pour avoir de la place pour l’imagination. qu’on voit mes jambes, une poitrine naissante, mais rien de plus. que j’ai un ensemble de sous-vêtements en dentelle, en dessous, quand bien même ils n'en verront jamais la couleur. et aux pieds, des hauts talons aiguille. un brushing fait à la perfection. des lèvres joliment rosées.
alors je le fais.
je dois avoir l’air plus classe qu’une putain, moins distinguée qu’une dame.
un entre deux dont les nuances sont fines.
c’est difficile. douloureux pour l’ego. pas autant que pour mes pieds qui n’en peuvent plus.
j’ai hâte d’être chez moi, et retirer tout ça, tout ce qui me donne l’impression d’être déguisée. tout, et mon sourire en premier.
la fin justifie les moyens, je me suis bien comportée ce soir, et dès demain j’aurais, sur mon compte, un virement probablement plus gros que ce que j'imagine.
sans même avoir besoin de le suivre jusqu’à un hôtel, et c’est le plus beau.
relation transactionnelle moins dégradante que mon autre activité. même si je n’me sens dégradée par aucune, si ce n’est même gonflée d’une confiance en moi qui dépasse l’imaginable, à l’idée d’avoir un tel pouvoir sur ces hommes. ils y perdent le plus, dans l’histoire.
merci pour le dîner wilfred, commande moi un taxi, maintenant. j’veux aller me coucher et oublier ton visage.
cette nuit, c’est pas lui qui hantera mes rêves, mais un autre, donc le visage est inexistant mais la sensation de sa peau contre la mienne fait vibrer mon corps entier.
la main du sugar daddy dans le bas de mon dos, en tout bien tout honneur, je le laisse me guider à l’extérieur, un énième sourire à la fois charmeur et charmé sur les lèvres. je brille dans mon rôle de femme ingénue pourtant fatale.
il met un point d’honneur à attendre avec moi que le taxi arrive, ne peut pas s’empêcher de se rapprocher de moi. je meurs d’envie de faire un pas en arrière, et m’éloigner de lui.
bouge de là, vieux mec.
j’me retiens.
comme une cendrillon des temps modernes, l’heure va bientôt sonner et le naturel risque de bien vite revenir. mais plutôt que voir mon carrosse se transformer en citrouille, c’est la joli princesse qui va redevenir sauvageonne à toute allure.
encore un effort zane. serre les dents quand il vient embrasser ta joue.
pense à tous les verres de vins que t’as pu boire à l’oeil. c’est rien.
pense au repas qui vaut un de tes reins, que t’as pas payé. les garçons seraient verts de jalousie.
- merci pour ce soir, c’était très agréable. j’ai déjà hâte qu’on puisse réitérer ça.